Des fourrures durables !

Par Eva Friede

Christina Nacos a toujours été une fervente porte-parole de l’industrie de la fourrure, mais vous ne la verrez jamais enveloppée dans un manteau de vison extravagant. Ce n’est pas que la vice-présidente de la prestigieuse compagnie montréalaise Natural Furs est contre la fourrure, bien évidemment. Ça relève plutôt de son sens de l’esthétique et de son style minimaliste et discret. Nacos poursuit aujourd’hui un projet aligné à ses valeurs et à son amour de la mode. Furb, la ligne de vêtements et d’accessoires en fourrure recyclée de Natural Furs, est confectionnée à partir d’énormes stocks de fourrures usagées (pour les doublures amovibles) et de tissus japonais raffinés produits en petits lots (pour le revêtement extérieur). La Baie d’Hudson a acheté la collection pour l’offrir en exclusivité au Canada. « Furb sert notre objectif, qui est de réutiliser toute la fourrure existante, affirme Nacos. C’est un processus durable qui élimine le gaspillage et qui nous permet de revaloriser cette merveilleuse ressource. »

La fourrure est le matériau emblématique de notre pays ; le canevas sur lequel il s’est bâti.

LA FOURRURE, TENDANCE D’HIER À AUJOURD’HUI

La fourrure est le matériau emblématique de notre pays ; le canevas sur lequel il s’est bâti. « La fourrure est l’un des produits fondateurs du Canada, et plus particulièrement de Montréal », explique Teresa Eloy, directrice générale du Conseil canadien de la fourrure. C’est en 1534 que Jacques Cartier commence à faire la traite des fourrures avec les peuples des Premières Nations du Labrador. S’ensuivent des siècles d’exploration et d’exploitation, notamment par la Compagnie de la Baie d’Hudson, fondée en 1670. La Compagnie du Nord-Ouest, fondée en 1779, devient sa principale concurrente avant que les deux entreprises ne fusionnent en 1821. La mode européenne des chapeaux en feutre de castor, qui perdure de la fin des années 1600 jusqu’en 1850 environ, assure le succès de ce commerce très lucratif dont Montréal est la plaque tournante.

Bien sûr, la mode et les temps changent. Au fil des siècles, les épaisses pelisses de raton laveur et de castor d’antan font place à d'élégantes pièces pleine longueur, puis, à un arc-en-ciel de manteaux teints, ornés d’enjolivures de toutes sortes. Aujourd’hui, le parka garni de fourrure est le vêtement d’hiver par excellence dans les climats froids. Les manteaux en vison, en castor et en renard colorés sont les pièces maîtresses des collections de fourrures, alors que châles, étoles, vestes, chapeaux, sacs et pompons s’accaparent un segment considérable de l’industrie. En fait, la fourrure a envahi les passerelles.

Le programme FurMark, qui sera lancé en 2020, vise à garantir que la fourrure est produite selon un processus durable et éthique, traçable et supervisé par une tierce partie.

« L’imposant manteau de fourrure pleine longueur n’est plus la vedette de nos collections depuis des lustres, dit Nacos. Nous sommes passés au prêt-à-porter contemporain, avec le reste de l’industrie. » Natural Furs, dans les affaires depuis environ 45 ans, est le fournisseur attitré de grandes marques de luxe telles que Dior, Louis Féraud, Bill Blass et Prabal Gurung. Son atelier a toujours pignon sur rue dans le quartier traditionnel de la fourrure, près du Quartier des spectacles de Montréal, bien que la plupart des fourreurs et autres fabricants de vêtements aient depuis accroché leur enseigne dans le célèbre quartier Chabanel, aussi surnommé la « Cité de la mode ».

LES FLEURONS D’ICI

Le Groupe Gorski est un autre fleuron prospère et admiré du centre-ville de Montréal. Selon Leonard Gorski fondateur et designer, sa collection d’automne 2020 propose des pièces légères, lumineuses, joyeuses, écourtées et parées de cristaux, de plumes et de broderies. « La ligne directrice de toutes les collections, affirme-t-il, est de concilier style de vie et haute couture, précisant que toutes les fourrures qu’il utilise — zibeline, vison et renard d’élevage pour les vestes et les garnitures ; chinchilla pour les pièces de soirée et les capes — sont d’origine durable ». Eloy souligne que le Québec compte désormais une trentaine d’entreprises de fabrication, d’apprêt et de teinture de fourrure, pour la plupart établies dans la région de Montréal. Ces chiffres représentent un déclin considérable comparativement aux quelque 300 entreprises qu’on y retrouvait entre les années 1950 et 1970. La fourrure demeure toutefois un secteur non négligeable au Canada : il emploie environ 50 000 personnes et ses exportations auront atteint 437,8 millions de dollars en 2018, soit 9 % de plus qu’en 2017. Il va sans dire que l’industrie a été confrontée à des défis de taille ces dernières décennies, notamment en raison de la montée en puissance de la production chinoise et du mouvement antifourrure. L’industrie a pris des mesures pour répondre aux préoccupations de la population au sujet de la fourrure, dont la dernière en date est la certification FurMark, qui sera lancée en 2020. Ce programme mondial vise à garantir que la fourrure est produite selon un processus durable et éthique, traçable et supervisée par une tierce partie, explique Eloy. Le Canada a ceci de particulier, ajoute-t-elle, que les règlements sur le trappage ont été mis en place il y a plusieurs décennies. Charles Ross, responsable du marketing international chez Saga Furs, précise que FurMark intègre tous les programmes de certification internationaux, incluant 80 protocoles. Le centre de design de cette maison de ventes aux enchères basée en Finlande fait aujourd’hui figure de précurseur à Copenhague. « L’industrie s’efforce réellement de devenir plus transparente et de travailler collectivement à rétablir la confiance », affirme Ross. « C’est un peu comme le concept de la ferme à la table. »

UNE CLIENTÈLE QUI SE RAJEUNIT

« La majeure partie de la production de fourrure est maintenant destinée aux garnitures, pour des entreprises comme Mackage, Moose Knuckles et Canada Goose, explique Ross, et de plus en plus d’entreprises optent pour des garnitures certifiées ». Mitch Fazekas de Mitchie’s Matchings ne fabrique pas de garnitures pour parkas, mais peu de temps après qu’il s'est joint à l’entreprise de son père, il y a 43 ans, il a fait sa marque avec de petites pièces, à commencer par des protège-oreilles, puis des manteaux de fourrure pour les poupées Bout de chou. « J’ai perçu une lacune », raconte Fazekas. Son entreprise est aujourd’hui l’une des marques d’accessoires de fourrure les plus florissantes en Amérique du Nord, et l’une des rares à toujours fabriquer ses pièces à Montréal. « Je suis dans le commerce d’accessoires garnis de fourrure », résume-t-il, ajoutant que toutes ses fourrures sont de source éthique et proviennent de grandes maisons de ventes aux enchères. Comme beaucoup de fourreurs, il vise un marché plus jeune, âgé de 24 à 40 ans. Ses pièces se détaillent entre 89 et 500 dollars : « Une catégorie de prix adaptée à cette catégorie d’âge », précise M. Fazekas. Les entrepôts de Natural Furs regorgent de parkas aux teintes sobres – olive, argile, chamois, denim – doublés de raton laveur et de vison façon patchwork. On y trouve aussi des sacs à bandoulière en vison bleu clair, où transparaît un soupçon du poil blond d’origine. Nacos s’empresse de souligner le mérite de la Montréalaise Mariouche Gagné, pionnière mondiale dans le domaine de la fourrure recyclée et figure de proue de cette industrie depuis 1994. « De nombreux fabricants et détaillants se sont tournés vers le remodelage en réponse à la chute des chiffres de vente au détail, explique Nacos. Les milléniaux adorent ça. Ils raffolent de l’aspect vintage. C’est l’antithèse du Fast Fashion. » L’industrie attire désormais une clientèle plus jeune. Parmi les étoiles montantes figurent Maison Elama et Lysa Lash Furs – bien que Lash soit la quatrième génération de sa famille à oeuvrer dans le commerce des fourrures. Elama a commencé par remodeler et confectionner des pièces d’accent comme des vestes et des manchons, puis a diversifié son offre pour proposer une large gamme de vêtements d’extérieur de luxe mêlant fourrure et cachemire. « La fourrure est l’un des matériaux les plus luxueux et durables qui soient. C’est un peu comme un bijou de famille », illustre Rita Elias, qui a cofondé l’entreprise avec sa soeur Rim en 2014. Lash se spécialise dans le vison, la zibeline et le chinchilla, qui prennent le plus souvent la forme de petites vestes chics et colorées qu’elle vend dans de luxueux salons de mode à travers l’Amérique du Nord. « Ce que je vends, c’est une expérience », dit Lash. « J’ai modernisé la façon dont les gens achètent les produits de luxe pour rendre cette expérience mémorable. » Selon la Fédération internationale de la fourrure, les ventes de fourrures ont toujours le vent en poupe, avec des ventes totalisant 30 milliards de dollars américains à l’échelle mondiale en 2015 — bien que les manifestations antifourrure continuent de rallier de plus en plus d’adeptes.

RESPONSABLE MALGRÉ TOUT

En octobre, la Californie est devenue le premier État américain à signer une interdiction de vente et de fabrication d’articles neufs en fourrure, qui entrera en vigueur en 2023. La peau de vache, le cuir, la fourrure usagée et les moutons sont exemptés, tout comme la fourrure utilisée dans le cadre de pratiques religieuses et autochtones. Los Angeles, San Francisco et d’autres villes californiennes ont également adopté des lois antifourrure, alors qu’un projet de loi est sur la table à New York. Devant ces initiatives, Nacos s’interroge. « Pourquoi interdire la fourrure ? Qu'essayent-ils vraiment d’interdire ? Pourquoi pas le cuir, pourquoi pas le mouton ? » Nacos réitère sa préoccupation pour l’environnement. « Mon travail consiste à redonner ses lettres de noblesse à la fourrure, poursuit-elle, à démontrer que c’est un produit durable et écologiquement très responsable, surtout quand il est question de fourrure recyclée. »

Source : MontréalStyle

Photo : Lysa Lash